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Jean-Pierre Bouchez - Des «mondes de grandeur» dominants des entreprises du savoir dans le monde post-industriel marchand

Grandeur, vous avez dit grandeur ? Pourquoi pas ?
On peut en effet tenter de proposer une présentation typologique des firmes dans l’univers marchand contemporain en mobilisant le concept de « monde de grandeur », que nous déclinerons en trois formes dominantes : la forme homogène, la forme hétérogène et la forme hybride (1). Indiquons d’emblée que par « monde de grandeur », nous entendons faire référence à des modes de représentation stylisés et dominants permettant précisément de saisir les différentes formes de coordinations des activités marchandes.

Le savoir et son usage occupe une place désormais centrale dans la conception des produits et des services, soit en vue de leur commercialisation directe, à l’image des prestataires de service intellectuel, soit à travers la réalisation de produits ou des services, issus de l’incorporation de savoirs en vue de leur commercialisation. De manière à affiner dans ce cadre le concept de « mondes de grandeur » et à opérer des distinctions avec d’autres termes se situant en partie dans la même mouvance, on présentera de manière ramassée ces trois formes dominantes. Nous les affinerons ensuite au regard d’autres concepts et typologies parfois proches, mobilisés par des chercheurs.

Trois "mondes de grandeur" référents et stylisés : homogène, hétérogène et hybride.

Le « monde de grandeur homogène ».
Il se positionne globalement dans l’univers de la conformité. La nature dominante des activités principalement centrées donc sur le savoir, se présente sous la forme routinière, uniforme et standardisé, dans le cadre d’organisations que nous qualifions de « bureaucrates processurales du savoir ». Nous entendons souligner par ce terme les pratiques des organisations, qui depuis une vingtaine d’années se sont reconfigurées autour du « gouvernement par les processus ». Ce « monde de grandeur » mobilise pour cela essentiellement des « travailleurs du savoir » qui agissent plus spécifiquement sur la base de traitement d’information et de connaissances explicites, dans le cadre d’une logique d’exploitation. Le mode de management des connaissances se réalise plus spécifiquement dans le cadre d’une relation de « personne à document » reposant le plus souvent sur l’usage d’un système numérique permettant la codification, le stockage, la diffusion et la réutilisation des connaissances à caractère explicite. On utilise alors volontiers le terme de « mémoire morte ».

Le « monde de grandeur hétérogène ».
Il se situe en quelque sorte, à l’opposé du « monde de grandeur homogène » et se positionne dans l’univers de la distinction. La nature dominante des activités se caractérise alors par une singularisation, une personnalisation, une complexité teintée d’une forme d’ésotérisme. Elles se réalisent dans le cadre d’organisations que qualifierons d’« adhocraties identitaires », expertes et/ou créatives, dans le cadre d’une logique d’exploration et d’exploitation. Ces organisations mobilisent pour leur part, des « professionnels du savoir », « savants et/ou artistes », qui manipulent le plus souvent, des concepts et des idées innovantes. Le mode de management des connaissances se réalise plus spécifiquement dans le cadre d une relation de « personne à personne » favorisant le partage des connaissances de type tacite et l’échange d’expériences. Le terme de « mémoire vive » est alors souvent utilisé.

Le « monde de grandeur hybride».
Les deux précédents mondes sont naturellement loin d’être imperméables dans les faits. Une zone intermédiaire commune, que nous qualifions de « monde de grandeur hybride » emprunte partiellement aux deux autres mondes. Deux formes d’hybridations de nature différente, peuvent ainsi être mises an avant. Il s’agit d’une part, de la dynamique intrapreneuriale et/ou entrepreneuriale, qui se réfère à l’incitation à l’innovation au sein des « bureaucraties processurales » établies, et de l’économie de la modularité qui relève plus directement du champ de l’optimisation. Le mode de management des connaissances combine les deux modes précédents en fonction des contextes et des enjeux associés à cette forme.

Retour sur les "mondes de grandeur"au regard d'auteurs référents : Boltanski, Thévenot, Salais, Storper et Weber.

Equipé de cette première clarification sur ces trois « mondes de grandeur », nous pouvons à présent donc les affiner au regard d’autres typologies mobilisées en effet par des chercheurs référents.

« L’idéal type » Wébérien.
On ne peut ouvrir cette courte revue des systèmes de représentations sans évoquer ce célèbre concept mobilisé et popularisé par Max Weber dans une série d’articles (2). Pour Catherine Colliot-Thélène (3), l’une des meilleures spécialistes de l’éminent sociologue, ce terme ne correspond pas à une forme de concept ou de théorie inédite, mais à « une interprétation du sens de la conceptualisation dans les sciences historiques et sociales », conception qu’elle qualifie à juste titre, de « résolument constructiviste ». Sa fonction principale est de favoriser l’interprétation de la réalité. Ce concept rend ainsi compte, des rapports qu’entretiennent l’imagination théorique et l’analyse empirique dans l’analyse des historiens. Ces « tableaux de pensée » pour reprendre les termes de Weber, s’appliquent toutefois à des phénomènes très divers : le capitalisme, la ville d’Occident, la bureaucratie, les types de domination, les types de religiosité, le matérialisme historique, etc. L’idéal type constitue ainsi qu’un moyen élaboré par la pensée afin d’ordonner un donné empirique, ce qui fait dire à Colliot-Thélène, qu’un même champ d’investigation empirique peut ainsi donner lieu à construction de plusieurs idéal-types différents, selon les questions, que l’économiste où le sociologue soulève.

Les « mondes communs ».
Il nous faut également faire appel aux travaux des théoriciens de l’économie des conventions, comme Boltanski et Thévenot (4), qui ont mis notamment en évidence les concepts de « monde commun » et d’« économie des grandeurs ». En s’appuyant plus généralement sur les théoriciens de ce courant (5), on soulignera qu’un « monde commun » se réfère à des « principes supérieurs communs » ou des « cités » dans lesquels les individus « apprécieront les évènements de manière analogue : les objectifs du collectif, la manière d’y parvenir, la qualité des personnes, les choses et instruments de mesure significatifs, etc., feront l’objet d’un accord tacite ». Ces principes supérieurs communs, supportent des modèles d’évaluation et de jugement et permettent d’assigner une valeur « une grandeur » dans la terminologie des théoriciens de l’économie des conventions, aux personnes et aux choses. En d’autres termes, ces grandeurs communes « formes légitimes de bien commun » renvoient à des représentations d’équivalences partagées permettant à chacun de se référer à des repères qui vont faciliter ses actions et ses relations en situation. On rappellera pour mémoire, que Boltanski et Thévenot identifient quatre mondes, dont les principes supérieurs apparaissent entre parenthèse. Il s’agit du monde de l’inspiration (jaillissement de l’inspiration, incarnée notamment par les grands artistes), le monde domestique (proximité, voisinage, tradition), le monde de l’opinion (prestige, réputation, renommée), le monde civique (volonté générale, action collective), le monde marchand (concurrence, intérêts particuliers) et le monde industriel (efficacité, performance).

La « pluralité des mondes possibles ».
Les travaux de Storper et Salais (6), - ce dernier étant considéré comme l’un des fondateurs de l’économie des conventions – sur la « pluralité des mondes possibles », se positionnent quelque peu différemment. Les quatre mondes possibles qu’ils mettent en exergue (sur lesquels nous reviendrons dans un instant), ne tirent leur caractère « ni des différentes manières d’évaluer la grandeur élaborée, mais par les cités de la philosophie politique », mais procèdent plus simplement « de l’existence, pour une personne, de plusieurs registre d’actions économiques qui se traduisent chacun, par différentes qualités de produits et des formes de coordination avec les autres ». En d’autres termes, ils sont chacun caractérisés par « un mode de coordination entre les personnes, par un type de produit et un registre élémentaire d’action ». Ces quatre mondes sont qualifiés, d’industriels, marchands, interpersonnels et immatériels. Le premier se réfère « à la production de masse destinée à des marchés étendus et composés de demandeurs considérés comme anonymes. Ses produits standards et génériques sont congruents avec un développement économique guidé par la maximisation d’un taux de croissance macroéconomique (…) avec une consommation de masse ». Son modèle référent apparaît être celui des produits standards associés à la période de croissance des « trente glorieuses ». Le monde marchand est « celui des produits standards, mais dédiés à des demandes particulières, liées à des « désirs du demandeur », qui comporte des nuances avec le monde marchand de Boltanski et Thévenot. Les deux derniers mondes comportent par contre des analogies avec le « monde de grandeur hétérogène ». Ainsi, le « monde interpersonnel » se réfère au « monde des produits spécialisés et dédiés » et repose sur la confiance, la réputation et les valeurs communes. Le « monde immatériel » renvoie à celui de la « création », qu’il s’agisse par exemple de nouvelles technologies et de nouvelles familles de produits, du point de vue de leur conception ainsi que de la définition des besoins qu’ils satisfont.

Un positionnement de notre approche par les "mondes de grandeur" homogène, hétérogène, et hybride.

Retour sur Weber.
S’agissant du grand sociologue Weber, notre positionnement est naturellement emprunt d’une immense modestie. Point n’est besoin de souligner qu’au regard de l’éminent sociologue, que notre référencement est en particulier considérablement restrictif, en ce qu’il se centre sur un univers spécifique marchand, dans un contexte économique spécifique.

Retour sur Boltanski et Thévenot.
Notre typologie comporte en effet partiellement quelques analogies avec les travaux de Boltanski et Thévenot (4) auxquels elle emprunte certain aspects. Ainsi, « le monde marchand » présenté notamment comme « peuplé d’individus cherchant à satisfaire des désirs, tour à tour clients, concurrents, acheteurs et vendeurs entrant les uns avec les autres dans des relations d’hommes d’affaires » recouvre d’une certaine manière plus largement – tout du moins dans la formulation des auteurs – nos trois « mondes de grandeur » marchands. De manière plus spécifique, « le monde de l’opinion », recouvre pour sa part, partiellement, du moins par certains aspects, « le monde hétérogène » s’agissant en particulier de certaines « grandeurs de renommées » (pour reprendre la terminologie des auteurs), associées à ce que nous avons , dans nos travaux, qualifié de « professionnels reconnus » ou de « professionnels réputés » dans le cadre d’une « échelle de prestige ». Une distinction est toutefois patente sur un aspect capital, en ce que le talent et l’expertise, associés à notre terminologie, n’est pas nécessairement éligible à celle du « monde de l’opinion » formulée par leurs auteurs. Celui-ci se distingue en ce que les êtres de ce monde, « sont visibles, célèbres, reconnus, réputés (‘débanalisés’) », les autres qualités et notamment la profession, soulignent les auteurs, ne sont pas prises en compte dans le repérage des « personnalités où des vedettes » ou des « leaders d’opinion ». Enfin le « monde industriel », comporte nécessairement quelques analogie avec notre « monde de grandeur homogène », à travers l’intégration des actions « dans un même plan homogène » ou le recours aux « outils et aux procédures » et les instruments qui « standardisent à partir d’une définition ». De manière encore plus nette, Boltanski et Thévenot écrivent : « les opérations de standardisation, de formalisation, permettent de voir le monde par des données exprimées en nombre, chiffrées, prêtes à être traitées, cumulées, additionnées ».

Storper et et Salais.
C’est finalement au regard des typologies mobilisées par Storper et Salais (6), sur les « mondes possibles de production », que les « mondes de grandeur » que nous mettons en exergue, peuvent être éclairés. Ces auteurs se réfèrent en effet à des modes de coordination économiques entre personnes, sachant que pour notre part nous nous focalisons plus spécifiquement au sein d’organisations que nous nous proposerons de catégoriser. Les types de produits, mais aussi de services (standardisés ou personnalisés et singuliers) interfèrent naturellement dans cette typologies. Par ailleurs, nous avons souligné dans ce survol, que le monde « interpersonnel » et le monde « immatériel » des auteurs, comportaient des analogies avec notre « monde de grandeur hétérogène ». Le « monde industriel » de Salais et Storper reste associé dans sa présentation à l’univers le la production de masse implicitement référencée, comme je l’ai indiqué, à la croissance des « trente glorieuses ».

Retour à nos « mondes de grandeur ».
On considérera, à la lumière de ces différents éclairages, que le positionnement de nos trois « mondes de grandeur » est clairement inséré dans le cadre d’un univers plus restrictif, exclusivement marchand et hyper concurrentiel de l’économie immatérielle. Il se réfère à des formes de coordinations stratégiques, managériales, et économiques, de personnes (professionnels et travailleurs du savoir) œuvrant le plus souvent au sein d’organisations (qualifiées de bureaucraties processurales, d’adhocraties ou d’hybrides), fabriquant et commercialisant des produits et des services de nature et de complexité différenciées, oscillant entre deux pôles extrêmes : standardisation-singularité. En introduisant par ailleurs un troisième monde spécifique qualifié « d’hybride », nous entendons décrire et mettre en exergue une forme intermédiaire, qui emprunte certaines caractéristiques au deux autres mondes et qui traduit, ainsi que nous l’avons souligné, une incitation à l’innovation au sein des « bureaucraties processurales » à travers des formes variées d’intrapreneuriat, et de l’économie de la modularité qui relève plus directement du champ de l’optimisation.

On peut raisonnablement penser, sous réserve d’investigations étayées au cas par cas, que ce monde intermédiaire hybride contribuera à mieux articuler et combiner les coopérations entre les travailleurs et les professionnels du savoir, du moins dans les « bureaucraties processurales » en créant a priori, les conditions d’une dynamique renouvelée.

Note

(1) On s’inspire ici de notre dernier ouvrage consacré à l’Economie du savoir. Une publication académique développera prochainement cette courte version de ce texte.
(2) Weber M. (1965), Essai sur la théorie de la science, Plon, Paris, (recueil d’articles publiés entre 1904 et 1917).
(3) Colliot-Thélène C. (2006), La sociologie de Weber, La Découverte.
(4) Boltanski L., Thévenot L. (1991), De la justification, Gallimard.
(5) Biencourt O., Chaserant C., Rebérioux A., dir. Batifoulier P., « L’économie des conventions : l’affirmation d’un programme de recherche », Théorie des conventions, Economica, 2001.
(6) Salais R., Storper M. (1993), Les mondes de production, enquête sur l’identité économique de la France, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris.