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Jean-Pierre Bouchez - Les espaces de travail fondés sur les activités (activity based working), vont-ils supplanter le modèle du flex-office ?

Pour tenter d’apporter une réponse à cette question nous structurerons cette présentation en trois parties. Nous décrirons et illustrerons en premier lieu le modèle du flex-office apparu au mitan des années 1990. Puis faisant un pas arrière, nous présenterons en second lieu une expérimentation confidentielle mais prometteuse réalisée au sein de la firme IBM en 1970, fondée sur le « non territorial office », qui inspirera assurément le flex office, mais dont l’esprit et la philosophie se retrouvèrent plus surement dans un modèle enrichi et diversifié du flex office, fondé sur les activités des usagers. Ce modèle qualifié d’Activity Based Working sera alors présenté en troisième lieu.

Le flex office, un espace combinant innovation et rationalisation.

L’arrivée du modèle spatial du flex office au mitan des années 1990, assimilable à une forme de flexibilité organisationnelle et spatiale radicale, constitue à coup sûr une configuration combinée d’innovation et de rationalisation. Deux illustrations pionnières seront successivement évoquées pour caractériser ce modèle : l’agence de publicité TBWA Chiat/Day et le cas plus largement médiatisé d’Andersen consulting, devenu Accenture.

L’agence de publicité TBWA Chiat/Day.

C’est en effet avec cette agence de publicité qu’apparaît très probablement cette transformation spatiale radicale en 1994 (Bouchet et al., 2018).Son dirigeant Jay Chiat demande en effet à l’architecte Gaetano Pesce de repenser profondément son organisation afin d’y transformer les habitudes de travail. L’innovation réside dans l’aménagement de vastes espaces de travail dépourvus de place individuelle attitrée pour l’ensemble des collaborateurs, traduisant la volonté de faire tomber les murs, avec l’intention de faciliter la communication, les échanges et la collaboration entre les employés. Elle remet pour le coup en cause, dès lors qu’elle est instaurée à grande échelle, à l’image d’Andersen Consulting, la tradition du bureau fixe attribué avec tous les effets associés à son appropriation et son intimité territoriale personnalisée. Pour autant cette innovation se combine avec une forme de rationalisation spatiale à travers l’optimisation des surfaces qu’elle génère. Ce modèle séduit nombre d’entreprises aux États-Unis et en Europe du Nord, en particulier celles qui emploient des travailleurs mobiles par essence, tels les consultants et les commerciaux. Mais il fera, comme nous le soulignerons, l’objet de nombreux questionnements.

Andersen consulting, devenu Accenture.

Le cabinet Andersen Consulting s’inscrit totalement dans cette logique accompagnée donc d’une forte médiatisation emblématique en France. Pour illustrer à grands traits cette transformation, nous nous appuierons sur un certain nombre de travaux (Léon (2003 et 2010) ; Pélegrin-Genel (2016)et Cochard(2021). Basée initialement au sein de la tour Gan dans le quartier d’affaires de La Défense, le siège social français de la firme de conseil reposait alors sur un mode d’organisation managérial et spatial traditionnel au sein duquel l’attribution et la surface d’un bureau personnel constituaient un marqueur de reconnaissance statutaire, acquis à partir du grade de manager, les consultants étant basés dans la staff room (espace de travail collectif). Les dirigeants de la firme mondiale décident alors de repenser radicalement en 1995 les locaux de la tour Gan sur la base du principe de bureaux non attribués sur le modèle de TBWA, en se relocalisant dans le quartier huppé, attractif et symbolique des Champs-Élysées dans un immeuble réaménagé dénommé en interne le « George V ». C’est en janvier 1996, qu’un millier de consultants quittent ainsi La Défense… pour environ trois cents postes de travail déterritorialisés, permettant leur absorption dans cette nouvelle configuration spatiale. Cela dans une logique de réservation « hôtelière » (« premier arrivé, premier servi »), quel que soit son niveau hiérarchique limitée dans le temps (de quelques heures à quelques jours).Sachant que les espaces occupés doivent être obligatoirement libérés chaque soir, leur appropriation devient alors quasiment impossible. Dans cette même logique, l’occupation d’un poste de travail est imputée en charge sur le budget d’affaires du consultant, qui bénéficie par ailleurs des services d’une conciergerie (concept hôtelier, tel que la réservation de billets, ou l’apport d’un costume au pressing…). D’autres types d’espaces sont par ailleurs réservés aux réunions en petit comité (type conférence téléphonique), ainsi qu’aux réunions collectives.

De même que pour l’agence de publicité TBWA Chiat/Day, le changement est radical ayant pour effet de formaliser clairement la rupture entre l’individu et son espace de travail qu’il s’agisse des consultants, mais aussi des associés qui « perdent » symboliquement le bénéfice statutaire de l’attribution d’un bureau individuel. Même si ces derniers offrent une résistance en se réappropriant collectivement d’un étage pour retrouver certains repères, en proximité avec certains collègues, comme s’il leur était intuitivement ou inconsciemment réservés…Pour autant, cette localisation parisienne prestigieuse facilite l’acceptation de quelques sacrifices par les consultants… mais répond à une question somme toute légitime au regard de la logique du flex-office : comment organiser l’espace de travail quand il y a moins de collaborateurs physiquement présents au même moment. La firme de conseil technologique poursuivait ainsi à travers cette transformation radicale deux objectifs de nature différente. En premier lieu, une incitation économique favorisant une productivité croissante liée à une présence accrue chez le client combiné avec l’optimisation de l’usage des surfaces de l’espace de l’immeuble. En second lieu, l’intention de susciter des interactions plus fortes entre consultants de manière à favoriser le travail collaboratif et le décloisonnement, assurément plus difficile à démontrer…

Pour clore cette description, précisons qu’en juillet 2001, la firme décide de se relocaliser vers l’est parisien au sein de l’immeuble « Axe France » bibliothèque nationale, vraisemblablement pour des raisons économiques et symboliques (quartier « branché »). Le modèle spatio-temporel et organisationnel introduit au « George V » sera pour l’essentiel reconduit avec toutefois quelques aménagements favorisant le travail en équipe.

Une généralisation progressive du modèle du flex office associé à des question-nements et controverses.

Le modèle du flex-office, par la nature de ses transformation associée à sa médiatisation marque alors assurément le monde des différents acteurs concernés, qu’ils soient dirigeants, architectes, aménageurs, ou usagers. Il se déploiera d’abord assez largement au sein de nombreuses entreprises, notamment dans le secteur du conseil et de l’information, puis au sein des secteurs de la banque, et de la santé, ainsi que progressivement dans d’autres grandes firmes françaises et dans certaines administrations. Cela en dépit de la crainte de résistance en interne poussant à l’attentisme de certains dirigeants. Ce qui explique que les professionnels du secteur considèrent qu’une vingtaine d’années auront été nécessaires pour que le modèle du flex-office soit adapté dans l’Hexagone, au-delà de sa seule application au monde des consultants.

Pour autant, l’usage de ce modèle soulève assurément des questionnements et des inquiétudes annonçant ceux qui se poseront avec plus d’acuité au moment de la pandémie. On relèvera en premier lieu la question de la dissociation potentielle du lien (et des liens) avec l’entreprise où il s’avèrera pour le moins délicat de se forger et surtout d’entretenir durablement une culture d’entreprise, dès lors que les collaborateurs ne travaillent pas au même endroit ni au même moment. Ils perdent ainsi certains de leur repères professionnels et relationnels rendant délicate l’acceptabilité sociale de cette non-territorialisation. De même et complémentairement la difficulté voire l’impossibilité de s’approprier un espace réservé et non territorialisé« à soi » constitue une perte identitaire prégnante.

L’expérience confidentielle mais innovante et prometteuse d’IBM en 1970.

C’est à ce stade qu’il convient de positionner et de relater cette expérience assurément novatrice pour l’époque en ce qu’elle inventa littéralement le concept et l’usage du non territorial office à l’origine du flex-office, mais aussi, de manière qualitativement enrichie, les espaces innovants plus récents fondés sur l’activité (ABW, pour Activity Based Working) que nous allons présenter dans la section suivante. Elle a été financée par la firme de Armonk et menée tout au long de l’année 1970 par deux chercheurs du MIT, Allen et Gersterberger (1971)sur lesquels nous nous appuierons. La nouvelle configuration avait en l’espèce pour objectif d’évaluer l’impact d’un réaménagement radical des bureaux sur le comportement au travail, la communication et les performances d’une équipe d’une quinzaine d’ingénieurs produits « cobayes » appelée à se déplacer assez fréquemment. C’est dans ce cadre, en lieu et place des anciens bureaux très cloisonnés que fut imaginé cette nouvelle configuration dite « non territoriale ». Cela au sens où elle se présente alors pour les chercheurs sous la forme d’un espace de travail très ouvert, sans bureaux cloisonnés, ni postes attribués en lieu et place, où chacun des équipiers est amené à s’installer librement selon leurs souhaits autour de grandes tables spatialement réparties ou de petites tables rondes éparpillées. Ce « plan d’étage ouvert » ayant été précisément conçu pour favoriser le partage des problèmes afin d’améliorer leur résolution. Par ailleurs deux espaces spécifiques sont aménagés : une zone dite « de calme » confortable (cloisonnée de parois), qui est dédiée aux réunions de travail ou à des activités nécessitant une forte concentration, ainsi qu’une « salle de tranquillité totale » qui était précédemment – fait symbolique – le bureau de chef de service. Décorée avec goût (tapis, peintures murales, etc. contribuant à réduite le niveau sonore), elle est conservée afin qu’une personne ou un groupe puisse y travailler, le cas échéant porte fermée si cela est souhaité. Les signes extérieurs de pouvoir étant ainsi appelés à disparaître…

Le bilan de cette expérience particulièrement novatrice se révéla, du point de vue des usagers, assez largement positif. En termes de confort environnemental, le nouvel aménagement spatial ayant leur préférence, tout retour en arrière leur paraissant inenvisageable .La plus grande fluidité des communications et donc de coordination entre équipiers répartie de manière plus homogène et croissante a par ailleurs constitué un facteur de satisfaction. Les chercheurs ont également relevé une baisse des coûts d’exploitation liée à la limitation des travaux de modification de l’espace visant à l’adapter aux évolutions de l’organisation. Pour autant aucun accroissement mesurable de l’efficacité durant la période de la recherche n’a pu être observé. Mais pour les auteurs de cette recherche, la satisfaction liée au confort environnemental et aux conditions de travail dans ce nouvel espace apparaît malgré tout plus important que les économies de coûts, tout en soulignant qu’il pouvait contribuer à améliorer leurs performances à long terme. Ils soulignent logiquement que cet aménagement « non territorial » est particulièrement adapté aux travailleurs mobiles.

Cependant, cette expérience, relativement confidentielle, ne sera pas généralisée, ni au sein d’IBM ni d’ailleurs au-delà, compte tenu notamment de la lourdeur des équipements informatiques fixes de l’époque (Pillon, 2016 ; Bouchet et al., 2018),Mais aussi parce qu’elle concernait une population spécifique (Bertier et Cochard, 2021). Elle demeure en tout état de cause particulièrement innovante, et sera largement remise au goût du jour. D’abord à grande échelle avec une centration prioritaire sur les objectifs économique (flex-office présentée au point précédent dans les années 1990), puis, à partir des années 2010, dans le cadre d’espaces diversifiés, enrichis et augmentés que nous allons décrire.

Des espaces enrichis et diversifiés fondés sur les activités (Activity Based Working).

Ce concept repose sur des principes analogues à ceux du flex office (notamment la non-territorialisation des bureaux),mais s’en distingue singulièrement par son enrichissement qualitatif et socio-collaboratif combiné. Le maitre mot au regard de cette dimension qualitative est celui d’activité (d’où sa dénomination d’Activity Based Working) dans la mesure où les usagers choisissent d’utiliser au cours de la journée les espaces dédiés précisément à leurs activités en fonction de leurs besoins et donc de leur travail réel. Ce qui aurait pour effet de contribuer à accroître la collaboration et les interactions entre les « habitants ».Concrètement cela se traduit par une diversification plus marquée des différents espaces ainsi qu’un rattachement des groupes ou équipes à des « territoires », inspirés d’une « ville en miniature » avec ses différents quartiers. C’est l’architecte des environnements de travail Erik Veldhoen (2004) qui est considéré comme l’inventeur et le pionnier de l’ABW, et qui le déploya en 1995 au sein de la firme Interpolis, une compagnie d’assurance aux Pays-Bas. Pour autant, curieusement cette notion d’origine anglo-saxonne, apparait très peu dans la littérature académique et professionnelle en langue française, bien qu’elle se généralise notamment dans les grandes organisations comme indiqué, dans les années 2010. De manière symbolique comme l’illustre le cabinet Gartner (Gotta et Rozwell, 2018),ces espaces sont souvent désignés par des termes représentatifs à connotation symbolique comme l’illustre le tableau ci-dessous, parfois qualifiés de « menus d’espaces » au regard du déroulement de la journée.

 

Place publique

Espace commun destiné aux réunions générales, aux fêtes d’entreprises, etc.

Quartier

Conçu pour de petits groupes de travailleurs qui doivent se côtoyer pendant de longues périodes pour réaliser des activités similaires et répétées. Un service comptabilité, par exemple, peut s’installer dans un quartier.

Établi

Destiné aux projets collaboratifs ponctuels et limités dans le temps. Les employés peuvent se déplacer et démonter leurs établis pour dégager l’espace nécessaire.

Bibliothèque

Petit espace communautaire dans lequel tout collaborateur peut accomplir des tâches ponctuelles ou peu structurées (lecture, recherche, écriture de code, etc.)

Alcôve

Zones tranquilles et privées dans lesquelles les employés peuvent récupérer, réfléchir et se détendre. Ce ne sont pas des espaces de travail.

Espace bien-être

Destiné à des activités communes favorisant le bien-être physique et mental des employés. Il peut être intérieur ou extérieur/ poste de travail permettant de travailler debout, zone de méditation, chemin sur lequel peuvent se tenir des réunions ambulantes, etc.

 

Selon notamment les professionnels de l’immobilier, il s’agit alors de modeler l’environnement de travail dans ses différentes composantes (espaces, mobilier, décors, technologies, services, etc.), en l’adaptant aux activités de leurs usagers, en réallouant et diversifiant en quelque sorte les différences ressources spatiales (sans pour autant évoquer nécessairement la réduction des coûts). Ce type d’environnement s’imposera et se développera singulièrement à partir des années 2010, principalement au sein de grandes firmes éclairées. Ses maîtres-mots associés sont : flexibilité, modularité, bien-être, diversité, convivialité, hybridité, végétalisation, etc. Pour autant, il comporte cependant des limites selon plusieurs chercheurs : un écart fréquent entre la promesse et le vécu réel des utilisateurs, notamment quant aux mouvements spatiaux adaptés aux activités(Arundell, L. et al., 2018). De même des comportements de nidification (Rolfö, Eklund et Jahncke, 2017). Enfin, ce modèle enrichi ne résout pas globalement la question de l’appropriation et de la personnalisation par les salariés du bénéfice de l’usage d’un espace « à soi » attitré. Il n’empêche l’Activity Based Working, apparait à plusieurs égards prometteur, comme cela a été souligné.

 

Conclusion.

C’est paradoxalement une expérimentation confidentielle fondée sur une innovation : la déterritorialisation spatiale, soit des bureaux non attribués dans le cadre d’un espace ouvert et diversifié, réalisée au sein de la firme IBM en 1970, qui génèrera à partir des années 1995, le concept de flex office, puis dès les années 2010, la forme d’espaces enrichis et diversifiés Fondés sur les activités, dont la filiation avec la philosophie de l’expérimentation de la  multinationale américaine nous parait singulièrement plus marquée.

 


Sources.

Allen T. et Gersterberger P. G. (1971), « Report of a Field Experiment to Improve Communications in a Product Engineering Department; The Non-Territorial Office », Research Report, MIT Sloan School of Management, vol. 15, n 5, pp. 487-498

Arundell L., Sudholz, B., Teychenne M., Salmon J., Hayward B., Healy G. N. et Timperio A. (2018), « The Impact of Activity Based Working (ABW) on Workplace Activity, Eating Behaviours, Productivity, and Satisfaction », International Journal of Environmental Research and Public Health, 17 mai, vol. 15, no 5, 16 p.

Bertier M. et Cochard, N. (2021), « L’activity based working », in (Dir.) Minchella D., Espaces de travail. Nouveaux usages, nouveaux enjeux, Dunod, Paris.

Bouchet et al., (2018).

Cochard N. (2021) (Dir.), Guide de la flexibilité, de l’organisation et de l’environnement de travail. Théorie et pratique, Groupe Moniteur, Antony.

Gotta M. et Roswell C. (2018), « Create a Catalog of Activity-Based Spaces in the Digital Workplace to Improve the Employee Experience », Gartner, 20juin.

Léon E. (2003), « La gestion des espaces de travail, vecteur d’innovation ? Le cas des bureaux virtuels d’Accenture France », Actes du 14° Congrès de l’AGRH, 20-22novembre, Grenoble, France.

Léon E. (2010), « Territorialité et bureaux virtuels : un oxymore ? », Gérer et Comprendre, mars, n° 99, pp.32-41.

Pélegrin-Genel, E. (2016), Comment (se) sauver (de) l’Open Space ? Décrypter nos espaces de travail, Parenthèse, Marseille.

Pillon T. (2016), « Retour sur quelques modèles d’organisation des bureaux de 1945 à aujourd’hui », La Nouvelle Revue du travail, n° 9.

Rolfö L, Eklund J. et Jahncke H. (2018), « Perceptions of performance and satisfaction after relocation to an activity-based office », Ergonomics, vol.61, n° 5, pp. 644- 657.

Veldhoen E. (2004), The Art of Working, Sdu Uitgevers.