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Jean-Pierre Bouchez - Liens forts et liens faibles une approche distinctive et combinée des communautés de pratique et des réseaux sociaux d'entreprises et de leurs effets

Certains auteurs académiques ainsi que de nombreux  praticiens, entretiennent une certaine confusion entre les termes de « réseaux sociaux » et de « communautés de pratiques », en particulier au sein des grandes entreprises, à l’intérieur desquelles ils se déploient. En réalité ces deux termes qui peuvent souvent se combiner bénéfiquement, ne se recouvrent pas. De manière à éclairer cette distinction, il nous faut préalablement convoquer le sociologue américain Mark Granovetter, qui distinguera dans une contribution fondatrice en 1973, dans l’American Journal of Sociology, significativement intitulée : « la force des liens faibles », précisément la nature et les caractéristiques des liens forts et faibles.

La force des liens faibles.

Il y écrit notamment que la force d’un lien apparaît comme la résultante d’une « combinaison de la quantité de temps, de l’intensité de l’émotion, l’intimité (confiance mutuelle) et les services réciproques qui caractérisent un lien ». Il suggère ainsi donc une distinction capitale, notamment du point de vue de leur nature et de leurs effets, entre liens forts et liens faibles. Les premiers reposent sur un réseau primaire et direct de proximité dense, de type familial, intellectuel et culturel, voire affectifs, qui auront tendance à se recouper et à se renforcer. La force de ces liens est corrélée à leur densité et à la confiance qu’ils génèrent. Mais ces liens peuvent également contribuer à générer des relations fermées, encastrées et cloisonnées entre leurs membres, pouvant aboutir à l’extrême à une forme de consanguinité ; au sens où les membres du groupes peuvent avoir l’impression de « tourner en rond ».

A l’opposé, les liens faibles sont évidemment plus relâchés et se réfèrent à des relations périphériques qui s’étendent au delà de ce premier cercle primaire : les voisins, les collègues de travail, les partenaires professionnels où de loisirs sportifs, les amis d’amis, etc. Mais, comme le souligne et l’étaye Granovetter dans sa contribution, la force de ces liens est qu’ils ouvrent des perspectives et des décloisonnements potentiels. Ils auront notamment plus de chance d’évoluer dans des cercles différents, augmentant ainsi leur possibilité d’accès à des informations quantitativement et souvent qualitativement supérieures à celles produites par leurs seuls liens forts. D’autres chercheurs utilisent à cet effet le terme d’efficacité informationnelle. Ces liens faibles permettent ainsi un accès plus aisé à d’autres relations que son seul réseau primaire, en étant susceptibles à eux seuls de constituer des « ponts » offrant des ouvertures à d’autres individus membres d’autres réseaux ou groupes sociaux et d’accroitre ainsi leur capital social. Encore faut-il activer et mobiliser ces fenêtres d’opportunité périphériques. De manière complémentaire, il faut également souligner la force potentielle de la sérendipité, c'est-à-dire le fait de réaliser une découverte inattendue, par une rencontre entre le hasard et l’intelligence.

Communautés de pratiques et réseaux sociaux.

Les groupes communautaires et les réseaux sociaux d’individus sont probablement aussi anciens que l’histoire de l’humanité. Mais ces formes relationnelles et coopératives  ont pris ces derniers années, principalement au sein des grandes entreprises, une place  importance et ont fait l’objet de recherche académiques, de sorte que certains chercheurs, comme Dominique Cardon, n’hésitent pas mobiliser le terme de « nouvelle économie des relations sociales ».

Ainsi la forme des communautés de pratique apparaît à l’orée des années 1990 (donc avant la déferlante des réseaux sociaux numériques) et se définit de manière ramassée, en reprenant les termes d’un de ses principaux promoteurs, Etienne Wenger, comme un groupe dont les membres s’engagent régulièrement dans des activités de partage de connaissances et d’apprentissages à partir d’intérêts et de valeurs communes. Ces formes de communauté assez formelles et « pures », partageant des valeurs fortes et fonctionnant de manière relativement fermées (fixant par exemple assez strictement les règles d’entrée et de sortie) sont toujours présentes à l’intérieur de grands groupes, notamment au sein des métiers (chercheurs par exemple). Dans cette logique elles peuvent exister et fonctionner, avec l’aide d’outils collaboratifs, en l’absence de réseaux sociaux au sein de l’entreprise et sont illustratives de la forme des liens majoritairement forts entre ses membres. Leur production, pour autant que l’on puisse les évaluer, sont souvent considérées comme efficaces. Mais leur limite est qu’elles ne bénéficient pas de « l’effet réseau », propre à la dynamique associée au déploiement de liens faibles et qu’elles peuvent même à l’extrême dans certains cas, reproduire les silos verticaux contreproductifs dans cette nouvelle culture collaborative.

A l’opposé, les réseaux sociaux d’entreprise (RSE) numériques ouverts, qui ont progressivement infiltré puis irrigué les grandes firmes ces dernières années, et peuvent regrouper plusieurs milliers de membres, plus où moins impliqués, relèvent pour l’essentiel de la logique des liens faibles, au sens de Granovetter. Les règles d’accès et de fonctionnement interne sont, a priori, beaucoup plus desserrées, (sous réserve naturellement des aspects juridiques, et de confidentialité notamment). De sorte que l’on peut observer des entreprises utilisant des RSE sans pour autant constituer des communautés. Toutefois dans la réalité, ces RSE fonctionnent rarement de manière totalement relâchées. A travers des affinités professionnelles et personnelles, sur la base de CV qualitativement enrichis, ils génèrent  de fait spontanément la création de communautés en ligne souvent thématiques (mais moins « pures » que les précédentes), qui leur confèrent une forme de statut hybride, où cohabitent des liens forts et des liens faibles. Quoi qu’il en soit, il convient de souligner que l’esprit communautaire, génère des liens plutôt denses en forts en ce que leur membres, souvent de part leur proximité cognitive, partagent des pratiques et des savoirs, le plus souvent (mais pas nécessairement) dans le cadre d’un métier, de manière à les capitaliser, les diffuser et les partager, contribuant ainsi accroitre, dans une perspective toujours délicate à évaluer, la performance et notamment la productivité. La logique réticulaire (RSE), se limite souvent, au-delà de la constitution d’un annuaire intelligent, à échanger des informations contribuant souvent à réduire l’usage des emails, à collaborer sur un document de travail, à poster des commentaires, etc. Des zones grises, hybrides et partiellement combinées existent naturellement entre ces deux formes. Naturellement cette profusion d’échanges et de productions collaboratives dans un cadre réticulaire et communautaire pose inévitablement la question de leur gouvernance et de l’évaluation de leurs bénéfices.

La question de la gouvernance et des effets bénéfiques de ces nouvelles pratiques collaboratives.

Ayant eu l’occasion récemment de dialoguer et d’échanger, avec des praticiens responsables de communautés et/ou de réseaux de grands groupes  ainsi qu’avec des experts, il est frappant d’observer qu’il n’existe pas de modèle référent et des pratiques hétérogènes. Telle grande firme réputée laisse volontairement une autonomie totale à ces dispositifs, ignorant même leur nombre total et ne disposant pas de plateforme commune. D’autres grandes organisations au contraire, organisent méthodiquement par le haut, la conception et déploiement du dispositif, où chaque acteurs se voit attribué un rôle déterminé, et toute ouverture de communauté est soumise à autorisation. Naturellement entre ces deux pôles, de multiples formes et pratiques intermédiaires, sont observables. La question de l’évaluation du ROI est légitimement posée. Pourtant, comme ce fut le cas de la formation professionnelle (loi de 1971, (voire dans un autre registre, l’utilisation plus récente de téléphones mobiles et des tablettes numériques), aucun dispositif rigoureux n’a pu à notre connaissance être établi et validé avec pertinence. De même, la mobilisation et les effets de l’intelligence collective à travers ses usages collaboratifs ne peuvent être rigoureusement évaluée et quantifiée. Cela constitue plutôt une bonne nouvelle au regard de ces nouvelles pratiques qui ne peuvent, par définition s’encastrer dans un compte d’exploitation, qui aurait probablement pour effet d’en démobiliser certains de leurs acteurs.

Mais, l’autre bonne nouvelle est que la quasi-totalité des praticiens responsables considèrent que les bénéfices économiques (en particulier, l’efficacité de la communication et du travail collaboratif), et surtout sociaux (notamment, l’accroissement de la coopération entre individus et groupes), sont le plus souvent incontestables (dès lors que la participation active est à minima suffisamment au rendez-vous). Reste enfin, la question épineuse de la gouvernance des RSE et des communautés. Sur ce point une tendance prometteuse émerge, également partagée également par des chercheurs : l’orientation vers une forme de gouvernance subtilement co-pilotée entre le management supérieur et intermédiaire et ces nouvelles formes collaboratives. Un équilibre assurément délicat à trouver, mais traduisant à coup sur, une forme de maturité dans cette nouvelle forme de management hybride mais exigeant.